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Les valeurs sont centrales pour les personnes après un cancer ou un burnout. Mais ce mot » valeur » est mis à toutes les sauces. Une clarification s’impose.

Nul ne peut ignorer, qui a travaillé un temps dans un grand groupe, que les valeurs sont la tarte à la crème des entreprises. Elles sont présentées aux candidats lors d’un entretien de recrutement, rappelées lors de la présentation de la société à des fournisseurs, placardées dans le hall d’accueil, rappelées sur les revues internes mais également évaluées lors des entretiens annuels des collaborateurs.

Les valeurs d’entreprise classiques

Nul ne peut ignorer non plus que ces derniers n’en ont pas grand-chose à faire en vérité ! Mais cela fait partie du jeu d’acteurs attendu, donc parlons des valeurs si l’on m’interroge sur l’entreprise. Personnellement, la valeur courage d‘un de mes premiers employeurs m’a toujours généré un petit rictus ironique. Courage, oui mais plutôt « Courage, fuyons » ! La seule idée de me faire évaluer sur des valeurs me faisait hérisser le poil…

Les valeurs sont des notions intimes et je ne me voyais pas exposer mon intimité à un manager pas choisi et sans doute mal dégrossi sur le sujet! Trop de stress !

Les valeurs sont mises à toutes les sauces dans l’entreprise. Les plus plébiscitées par les entreprises en France sont : l’innovation, l’esprit d’équipe, l’intégrité, le respect.

La première est vraiment intéressante. Elle résume bien la situation. L’innovation est mise en avant car les dirigeants ont compris son absolue nécessité pour les produits de demain. Il faut innover pour ne pas se faire grignoter par les concurrents ou les petits. Mais attention, il ne s’agit pas non plus de faire n’importe quoi ! L’innovation doit faire l’objet d’un processus bien compris et argumenté. Avec un beau RACI de préférence (Outil de partage des tâches : R pour Responsable de la tâche, A pour Accountable (devra rendre compte de), C pour Consultation, I pour information). C’est comme mettre l’amour en équation.

Au final, les innocents lancés dans l’aventure de favoriser l’innovation au sein de leur entreprise, souvent avec enthousiasme et « fraicheur », se brûlent les ailes ou s’agitent en vain. Pour résoudre ce problème, certaines compagnies ont compris qu’il était plus simple de racheter les petites entreprises innovantes pour avoir des idées innovantes. Certes, du coup, ça stérilise ces petites entités – car il faut bien les intégrer dans le moule rapidement, i.e. les faire rentrer dans le rang – mais il y en aura d’autres. Ou pas …

Par contre, les plans B pour les valeurs esprit d’équipe, intégrité, respect sont plus complexes. Certes, il est possible de faire intervenir en grand show et à prix d’or des grands sportifs, des gourous du management ou de la méditation, de la gestion du stress, des dirigeants d’ONG. Mais cela ne suffit pas à injecter de l’esprit d’équipe à ces collaborateurs décidemment bien rétifs.

La valeur sécurité : tout le monde y pense, personne n’en parle

Dans cette liste de valeurs prioritaires, il en manque une à laquelle tous pensent. Mais personne ne l’avoue. C’est la valeur sécurité. Pas la sécurité physique des personnes mais la sécurité du travail.

Elle doit pourtant jouer un rôle central quand on voit combien certaines personnes sont prêtes à endurer de harcèlement ou de charge de travail pour ne pas perdre un emploi ? Chaque valeur à son prix à payer. La crise de 2009 a vraiment amplifié le phénomène et tous les derniers jeudis du mois nous rappellent les 20 000 nouvelles personnes du secteur privé n’ayant plus la sécurité de leur poste mais juste celle d’aller en entretien mensuel à pole emploi.

Quand j’ai commencé à accompagner des demandeurs d’emploi, je me suis rendu compte que les personnes en face de moi n’étaient pas des délinquants, ni des fainéants (je n’en doutais pas avant, laissez-moi finir :->), mais au contraire des gens sérieux qui avaient progressés dans leur carrière, s’étaient formés, avaient évolués, s’étaient maintenus à jour. En gros, ils avaient suivis les recommandations des RH et managers, souvent plus, mais cela n’avait pas suffi. Ils étaient juste un peu trop ceci (vieux ?) ou pas assez cela (malléable ou mobile ?). Bref, ils se sont fait ‘arnaquer’ grave, surtout s’ils ont eux voulu suivre à la lettre les valeurs prônées par leur société.
Lorsque les projets et autres managements transverses ont commencé à débarquer en masse dans les sociétés, ils ont contribué à changer la donne de la sécurité. Avant, les employés étaient rattachés à un manager au sein d’un service appartenant à un département. C’était un silo certes, mais un silo protecteur du stress. Pas de contact avec les clients le plus souvent, ni trop avec d’autres départements. Or ces profils, les extérieurs, les « étrangers », sont sources de stress. Chacun était protégé par l’organisation : les collègues, le chef, le directeur. L’arrivée du management transverse et la déstructuration des organisations les a laissés seuls face à l’extérieur, sans aucun soutien le plus souvent. Adieu la sécurité du quotidien, adieu aussi la sécurité du lendemain.

Car qui défendra le collaborateur s’il fait une erreur ou est confronté à trop de stress? Plus grand monde en vérité. Le chef est lointain ou débordé, le responsable transverse/fonctionnel n’est pas là pour ça. Donc, l’alternative est de prendre soin de soi et de se défendre seul.

La première stratégie est de quitter l’entreprise pour se mettre à son compte ou dans une toute petite structure. Il n’y a personne pour me défendre, je n’ai pas la sécurité, mais au moins je ne subis pas les inconvénients d’une grosse structure. A moi d’assurer ma propre sécurité. La multiplication des indépendants chez les plus jeunes et des chambres d‘hôtes chez les plus âgés permettent de mesurer l’ampleur du phénomène.

La seconde stratégie est de se rapprocher d’un corps constitué solide : les organisations syndicales. Et donc devenir Délégué du personnel par exemple. Ou représentant syndical. Là, la sécurité est presque totale.

La troisième stratégie, la plus répandue, est de faire profil bas et de se de-investir de son travail en faisant le minimum, dans le respect des règles bien entendu. Ceci explique les 65% de personnes désengagées dans les entreprises françaises selon l’étude Gallup.

Donc, oui, les valeurs sont bien au centre des entreprises. Pas celle des RH et des directions, mais la valeur sécurité. La seule que les entreprises privées ont du mal à mettre en avant.

Valeurs et entreprises libérées

Les valeurs sont en vérité un point d’arrivée et non pas un point de départ. Les compagnons du devoir n’ont pas du passer de longs week-ends au moyen âge sous la direction d’un coach de l’époque pour définir la fraternité comme une valeur centrale. Ce sont les actions qui ont fini par mettre en avant la solidarité comme une clé de voute du fonctionnement de l’organisation.

Un autre exemple plus récent concerne les entreprises libérées et comment les mettre en œuvre ? Tous les dirigeants sont d’accord pour plus de collaboration des salariés. Mais comment injecter la valeur collaboration ?

Si vous regardez bien la façon dont les premières entreprises libérées ont fonctionnées, et se sont mises en place, vous trouverez toujours un dirigeant comme Jean-François Zobrist de la fonderie FAVI ayant agi avant de conceptualiser. Comme le décrit Isaac Getz dans « Liberté et Cie «  Il préconise de faire confiance aux employés ? Il fait murer son bureau qui donnait une vue panoramique sur l’atelier. Ou il supprime le magasinier, chacun est ensuite libre d’aller se servir en fonction de ses besoins de gants et autres dans le magasin. Ensuite et seulement ensuite, après bien d’autres exemples et dans l’exemplarité concrète, il peut parler de valeurs collaboration et liberté dans son entreprise.

A ce jour, la seule valeur qui apparaît clairement et concrètement dans bien des organisations, résultat des actions vécues, c’est la valeur protection de soi. Tout le monde se protège, assure ses arrières, essaie d’éviter le stress ambiant. C’est une valeur très répandue en entreprise mais rarement placardées sur les panneaux des halls d’accueil.

Mais concrètement ? A quoi sert ce constat s’il ne permet pas d’améliorer le sort des personnes au sein de l’entreprise ?

Les  « valeureux » : premières victimes des entreprises

L’effet pervers des valeurs imposées au sein des entreprises est particulièrement marqué sur ceux qui accordent justement beaucoup d’importance aux  « valeurs »  aux sens large. Ou plus précisément sur ceux qui se sont attribués les valeurs de l’entreprise en général, de leur société en particulier : les « bons » éléments. Ce sont eux qui souffrent le plus du décalage entre valeur affichée et réalité du terrain. Ce sont eux qui vont innover avant de comprendre que l’innovation ne doit pas remettre les rôles en place. Ce sont eux qui vont respecter les personnes et attendre du respect en retour. Ce sont eux qui qui vont tenter l’intégrité et l’esprit d’équipe, avant de comprendre la complexité de la situation. Pour rester en ligne avec leurs idéaux, ou du moins ceux de l’entreprise qu’ils pensent souvent être les leurs, ils vont compenser par le travail, la rigueur, l’engagement de soi. Ce sont alors de bons candidats au stress et au burnout.
Ces personnes de retour en entreprise après un burnout – c’est également vrai après un cancer, une maladie grave, un accident – sont en questionnement. Le plus souvent sur leur identité et leurs valeurs dans un premier temps. Etre arrêté longtemps n’est pas dans les valeurs de l’entreprise car innovation, créativité, courage, esprit d’équipe, par exemple, sont exactement les valeurs opposées aux situations vécues par les malades. Les valeurs du malade ne sont pas celles de l’entreprise.

Pour lutter, un malade va souvent se replier sur lui. Il a peur. Il devient désagréable et irrespectueux des autres. Il s’isole. Il revient aux fondamentaux, dormir, manger, ne pas souffrir, passer la journée.

Tout à fait à l’opposé des valeurs traditionnelles de l’entreprise. Le courage de faire face à une situation difficile, du mieux que l’on peut, avec les moyens du bord, n’a rien à voir avec le courage plastronnant sous-entendu de l’entreprise.

Ce vécu là, ce courage là, bien réel lui, n’est pourtant pas souvent perçu par l’entreprise comme une richesse. Mais plutôt comme un poids.

Les valeurs selon Rokeach

Aider la personne dans sa reconstruction passe donc nécessairement par un travail sur les valeurs propres de la personne. Mais attention, pas les valeurs passe-partout, pas celles qui créent le consensus dont on discute entre la poire et le fromage dans les diners comme la liberté, la justice. Non, les valeurs intimes, propres à chacun.

Milton Rokeach (1918-1988), professeur de psychologie à l’université du Michigan permet d’aller plus loin. Il détaille deux types de valeurs : les valeurs instrumentales et les valeurs terminales.

Les valeurs instrumentales sont des valeurs d’action. Celles qui font prendre des décisions au quotidien, plus ou moins consciemment. Il en détaille 22 environ, à adapter en fonction des pays, comme l’indépendance, l’intégrité, l’équité, le respect de soi etc… Il postule que tous les êtres humains ont les mêmes valeurs mais avec un ordre de priorité qui diffère selon les individus. Ne pas mettre le respect des autres en première position ne veut pas dire ne pas respecter pas les autres mais que la valeur indépendance est finalement plus forte dans la plupart de mes choix. Rien de moral là-dedans, mais bien le résultat du vécu des personnes conscient ou pas. Ce sont des constats du vécu, pas de grands principes moraux.

Les valeurs terminales, ou buts de l’existence, représentent elles ce qui sera important au bout du bout, à 99 ans ! Qu’aimerais-je pouvoir me dire ? Avoir eu une famille heureuse, avoir vécu en harmonie etc…Les 18 valeurs terminales interrogent plus sur les grands choix stratégiques et d’orientation de vie. Là aussi, pas de priorité morale : avoir réussi socialement n’est pas moins digne ni plus que d’avoir faire preuve d’amour tout au long de sa vie.

Les valeurs d’action qui me sont propres

Le travail sur les valeurs instrumentales d’action, en particulier est vraiment aidant pour les personnes dans le doute après un arrêt. Il permet de (re)créer un système de valeur différent de celui de l’entreprise : le sien propre. C’est un vrai référentiel stable pour une relecture de son propre parcours par rapport à ce qui compte pour soi, non pas par rapport aux valeurs imposées par les autres. Le travail d’accompagnement consiste à permettre à la personne d’identifier ses 3 valeurs clés, idéalement sa valeur centrale. Ce n’est pas une règle d’airain d’arriver à une valeur clé mais cela permet de comprendre certaines situations passées, de souffrance ou de stress en particulier quand la valeur centrale n’a pas été nourrie.

C’est aussi un bon moyen de réaliser, si la gaieté est une valeur importante pour moi – et c’est une valeur que l’on ne voit pas souvent affichée dans les entreprises – je vais devoir réfléchir à l’alimenter pour me reconstruire, soit dans le travail soit à côté mais sans l’occulter. Elle est là, elle me représente et les valeurs différentes édictées par l’entreprise n’y changeront rien.

Autre exemple intéressant, il n’existe pas de valeur innovation dans cette liste. Mais bien la valeur créativité. Mettre en place un processus d’innovation est à l’exact opposé de la créativité. Si la valeur d’entreprise était créativité, il serait vite évident que créer ne peut se faire sous contrainte. Mais c’est bien là que le bât blesse, la créativité ne se contrôle pas, l’innovation si. L’entreprise veut de l’innovation pour ses produits, mais pas dans les autres parties de l’entreprise. Imaginez les logisticiens voulant être innovants. Le cauchemar des comités exécutifs ! La créativité peut se nourrir sans innovation, dans le quotidien, mais l’inverse n’est pas vrai.

Concrètement, pourquoi ne pas proposer un travail sur les valeurs intimes de la personne, par une personne formée et compétente, un coach interne ou externe, comme minima d’accompagnement au retour d’un arrêt longue durée ?