Les entreprises divisent souvent leurs collaborateurs en deux : experts et managers/leaders. Mais l’excellence ne serait elle pas le point de rencontre et de fusion de ces 2 profils ?
L’excellence en question
L’excellence n’est pas un don, une touche divine. Certes, certains auront plus de talents dans certains domaines mais le talent n’est rien sans le travail. Et le travail n’est rien si l’on se trompe de voie, de vocation.
Être excellent, c’est être un maître dans son sujet, et y avoir amené des vrais changements, une révolution.
- Si vous maîtrisez toutes les techniques d’un domaine et l’avez amélioré, vous êtes un expert. C’est déjà énorme.
- Si vous avez réalisé de grandes choses avec un charisme puissant, vous êtes un leader. C’est déjà énorme.
Mais si vous êtes un maître dans votre domaine, vous avez non seulement amené une innovation de rupture dans votre domaine et pour cela, vous avez du dépasser vos limites et d’autres vous ont suivi, ont poursuivi et amplifié votre travail. Vous êtes un maître.
L’excellence, c’est du travail, du dépassement de soi et une petite étincelle de génie qui ne peut surgir qu’entre les deux silex de l’expertise et du leadership.
L’excellence technique : l’expertise
Lorsque vous apprenez un métier, vous progressez dans ce métier au fil des ans. comme le décrit très bien Robert Greene dans son ouvrage sur « Atteindre l’excellence ». C’est un travail long et fastidieux. C’est, selon lui, au moins 10.000 heures d’apprentissage (concept que l’on retrouve aussi dans l’entrainement des sportifs de haut niveau parfois) pour atteindre un niveau « Expert ». Tout au long de cet article, je vais prendre l’exemple de la vie de Benjamin Franklin, issu du livre de R. Greene.
Cet apprentissage, selon Robert Greene, se décompose en 3 phases :
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Une phase d’observation.
Elle consiste, au tout début de son apprentissage, à regarder comment font les autres, à observer, à écouter, sans vraiment pratiquer soit même. C’est vérifié quel que soit le domaine : personne ne sait intuitivement comment faire pousser une cellule humaine, ni comment jouer de la guitare dans les secondes qui suivent la possession de l’instrument.
Exemple : « En 1718, Benjamin Franklin (1706 – 1790) entra en apprentissage dans l’imprimerie artisanale de son frère James à Boston….A l’imprimerie, il apprit non seulement à se servir des machines, mais également à corriger des manuscrits. »
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Une phase de pratique
Il s’agit de reproduire ce qui existe, d’apprendre le métier à fond, de se développer. Bien entendu, certains iront plus vite que d’autres. Ce qui semble faire vraiment la différence, c’est que l’on apprend beaucoup mieux dans un domaine qui nous passionne. Si je devais décider d’apprendre la musique, ce sera long et laborieux pour moi. J’aurais peu d’entrain, je vais progresser lentement. Par contre, si je dois apprendre une nouvelle approche psychologique, cela ira – nettement – plus vite car j’y mettrai bien plus d’énergie et d’engagement!
Exemple : » Pendant son apprentissage, Benjamin Franklin se forgea une vraie culture littéraire et il améliora considérablement son style ».
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Une phase d’expérimentation.
Au terme de ces 10.000 heures de pratique, c’est à dire environ de 7 à 10 ans, vous obtenez une vraie maitrise de ce domaine. Vous êtes calé dans votre métier, vous êtes devenu un expert !
Vous avez développé un certain nombres de pratiques spécifiques, vous avez expérimenté des variantes, forgé vos propres façons de faire, vous continuez à vous former dans votre domaine, vous publiez des articles ou des livres, êtes reconnu dans votre domaine.
Exemple : « Benjamin eut l’idée de créer un personnage fictif qui écrirait dans le courrier des lecteurs du ‘Courant'(le journal édité par son frère)….Après mûre réflexion, il se fixa sur un profil parfait : une jeune veuve du nom de Silence Dogood, aux opinions tranchées – parfois presque absurdes – sur la vie à Boston…Pour rendre son personnage crédible, Benjamin passa de longues heures à lui créer un passé. Il s’y absorba si complétement que la jeune femme lui sembla prendre vie…Il envoya une première lettre, assez longue , au « Courant » et constata avec amusement que, non seulement son frère la publia, mais qu’il ajouta une note dans le journal pour demander à l’auteure d’autres interventions…Il publia également les lettres suivantes qui, sans tarder, devinrent la partie la plus lue du ‘Courant’.
Bravo, vous êtes devenu un expert !
C’est sans doute ce que je suis. Un expert en management de projet, plusieurs centaines de chefs de projets formés, des projets jusqu’à 200m€, tous secteurs d’activités, 2 ou 3 livres..Super! Et après ?
L’excellence relationnelle: le leadership
De l’approche élément humain ( de Will Shutz) et des centaines de personnes formées au leadership avec cette approche, mais aussi de ma formation Communication Non violente, de coaching ou de thérapeute, j’ai retenu que le leader était avant tout une personne « alignée ».
Par alignée, il faut entendre un personne en ligne entre ses souhaits intimes, ses pensées et ses gestes. Pour cela, j’ai pour habitude de distinguer 3 étapes dans la construction des leaders. Comme pour l’apprentissage, il doit bien falloir 10000 heures pour se développer véritablement.
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La connaissance de soi
L’excellence relationnelle ne peut commencer que par soi, la relation à soi. Comment comprendre l’autre sans commencer par son propre jardin, ne serait-ce que pour désherher un peu son jardin des liserons qui empêchent une relation à l’autre épanouie.
Il est donc nécessaire de se regarder le nombril d’abord et de travailler sur soi. Les façons de le faire sont multiples : faire une thérapie, un coaching, l’élément humain, la CNV, la PNL, l’AT…La liste des possibilités est large et chacun doit pourvoir trouver la sienne.
Les coups de la vie sont aussi et surtout une excellente école…Dans le passé, c’est surtout ce mode de développement qui permettait de se connaître…
Exemple : Après avoir annoncé à son frère James la supercherie Silence Dogoog, Benjamin Franklin est contraint de quitter l’imprimerie familiale « Après quelques semaines d’errance, il aboutit à Philadelphie et décida de s’y installer. Il n’avait que 17 ans et pratiquement ni argent ni contact. »
La question à laquelle il convient de répondre à ce stade est » Qui suis-je véritablement ? ».
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L’acceptation de soi
La réponse à cette question identitaire « Qui suis-je » peut ne pas vous plaire de premier abord. Mais comme il est difficile de changer intrinsèquement sa personnalité et son héritage génétique, il va vous falloir accepter qui vous êtes. Avec les parties qui vous plaisent et celles qui vous sont moins faciles à accepter.
Attention, il ne s’agit pas ici de tomber dans la facilité en disant « Je suis comme je suis et c’est marre », ou de formuler « J’ai toujours été ainsi, ce n’est pas aujourd’hui que je vais changer » ou encore « Changer ! A quoi bon ? ». ces phrases sont plutôt symptomatiques d’un développement personnel inexistant.
L’acceptation de soi, c’est reconnaître les forces de sa personnalité et ses points sombres, ses réussites et ses échecs, et avoir la volonté de continuer à progresser, d’apprendre, de s’améliorer dans ses relations aux autres, de faire face à ses peurs intimes.
Exemple : « A la suite de cet incident et d’autres imprudences qu’il commit à Londres, Franklin douta de lui même. Il était d’une naïveté incurable, il ne cessait de se tromper sur les intentions de son entourage….Déterminé à en finir avec cette habitude et à changer ses façons de faire, il estima qu’il n’avait qu’une solution : dans toutes ses relations avec les gens, il se forcerait initialement à rester en retrait et à ne pas se laisser submerger par ses émotions. Pour rendre ce processus infaillible, il décida d’adopter une philosophie radicale : accepter en toute chose la nature humaine telle qu’elle est. »
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L’estime de soi & Vision
S’accepter tel que l’on est aujourd’hui et tel qu’on espère être dans le futur va vous permettre de vous retrouver un jour en face de la glace et de vous dire « Tu le vaux bien » avec une pichenette du poing sous le menton.
Nul narcissisme dans cette approche mais la reconnaissance d’un travail personnel effectué, de gré ou de force selon les errements de la vie. Mais vous serrez en position de ne plus attendre tout du regard des autres. Vous savez qui vous êtes, vous l’acceptez et ma foi, vous en valez bien un(e) autre. Chacun son lot, vous n’êtes pas meilleur mais pas pire que d’autre et cette conviction vous suffit.
De fait, vous allez être aligné(e) dans votre discours. Vous serez simple et authentique. Pour peu que vous ayez une vision à partager, votre impact sur les autres va devenir fort car vous ne ferez plus semblant, vous serez vous et c’est votre personne tout entière qui va transpirer dans vos gestes, vos mots, vos décisions. Vous allez devenir charismatique.
Exemple : « En mettant à exécution sa stratégie, Franklin constata à quel point il s’était libéré de toute aigreur et colère vis à vis de Kreimer(son employeur à Philadelphie). Il avait joué sa carrière comme sur un échiquier et, en décryptant les combines de Kreimer, il avait gardé en permanence plusieurs coups d’avance et conduit le jeu de façon calme et lucide. Au fil des ans, l’imprimerie de Franklin prospéra. Son journal eut un retentissement considérable, lui-même écrivit plusieurs livres qui eurent un succès énorme… »
Bravo, vous êtes devenu un leader !
Pas tellement parce que vous emmenez une équipe, mais parce que vous êtes en ligne avec vous ! Vous impactez !
Et ensuite ? L’excellence ?
Les 2 questions qui viennent ensuite sont les suivantes :
- Sommes-nous condamné à rester expert d’un coté et leader d’un autre ?
- Comment dépasser ces limites ? Qu’est ce qui différencie un Maître d’un expert et d’un leader ?
De fait, vous l’avez deviné, le Maître est celui qui concile les deux.
Les grands maîtres tels que décrit par Robert Greene sont des personnes qui sont devenus des experts au fil des années et de sueur, et dont les coups de la vie ont fait des leaders en les forçant à se dépasser, à ne pas rester dans le confort et l’immobilisme, à faire avec leurs forces et leur part d’obscurité.
Innovation de rupture
L’expert pour aller plus loin doit innover. Non pas une petite innovation, une amélioration. Mais bien ce que l’on qualifie d’innovation de rupture, faire les choses différemment, voir plus large, très différemment.
Pour cela, il doit affronter le monde, parfois s’y opposer, faire preuve de patience, apprendre à être politique. C’est possible uniquement en sublimant ses propres peurs qui, par nature, font tout pour maintenir l’équilibre confortable de votre vie et de votre façon de penser.
Exemple : Il fit dans le domaine de l’électricité des expériences scientifiques décisives et il inventa notamment le poêle Franklin, le paratonnerre, les lunettes à double foyer etc…Il devint l’un des principaux notables de Philadelphie et, en 1736, estima qu’il était temps de se lancer en politique. »
L’innovation de rupture n’est possible qu’avec une force de caractère issue d’un travail personnel réel, qui permet de se dégager de l’accessoire pour se consacrer à l’essentiel. Mais ce qui va surtout définir le maître, c’est le dépassement de ses freins.
Sublimation de ses freins
Pour être capable de marquer son domaine et son époque, il faut bien étendu créer quelque chose de nouveau. Si vous inventez la machine à laver, vous êtes un génial inventeur. Si vous devenez maire de votre commune, vous êtes un homme politique, peut-être un leader politique connu.
Mais pour aller vers l’excellence, la maîtrise et rester dans les livres d’histoire ou dans les références de votre domaine, il faut un petit plus. Avoir eu une action au dessus de la mêlée, qui a marqué son temps.
Exemple : En 1755 éclata la guerre d’indépendance. Benjamin Franklin était désormais un personnage politique en vue. Il fut dépêché en France en qualité d’ambassadeur extraordinaire pour obtenir des armes….Bientôt des rumeurs se rependirent dans les colonies concernant les multiples intrigues de Franklin avec des demi-mondaines et des courtisanes…Mais ce que les critiques ou le public ne saisissaient pas, c’était que, où qu’aille Franklin, il adoptait la tenue, la morale et la culture ambiante, en sorte de pouvoir y faire son chemin….Il s’était donc transformé en ce qu’ils(les Français) voulaient voir : une version américaine de l’esprit français et du mode de vie correspondant…Cette stratégie fit des miracles : les français adoptèrent Franklin…il fit signer une importante alliance militaire et obtint des financements que personne d’autre n’était parvenu à arracher au Roi de France, connu pour son avarice. »
Bien sûr, vous n’êtes pas obligé d’être impliqué dans des intrigues courtisanes pour aller vers l’excellence. Mais être capable de dépasser ses modes de fonctionnement (Franklin Roosevelt n’était pas un DSK) et de ne pas se perdre, au service d’un idéal supérieur.
Et la vocation dans tout ça ?
Ce chemin, long et difficile, n’est possible que dans un domaine précis pour chacun : celui de sa vocation.
Aller vers l’excellence est tellement inconfortable, tellement douloureux qu’il faut avoir une vraie motivation pour continuer. Le plus facile est de renoncer, après tout il y a tellement de personnes autour de vous qui vivent mieux, bien, ou pire, mais sans se poser tant de questions, sans avoir le sentiment de ne pas être dans les clous !
Certains sont de bons experts, c’est déjà énorme. D’autres réussissent dans le management ou la direction d’entreprise, c’est déjà énorme !
Franchement, pour dépasser ces 2 portes, garder la volonté d’aller plus loin quand rien ne vous y oblige, il faut avoir un sacré moteur intérieur, qui donne du sens à la volonté d’aller plus loin et de remettre en quelque sorte les gains sur le tapis en disant « Banco ».
Parfois, la vie vous envoie une bille de billard en travers qui dévie votre trajectoire et vous remet sur le chemin de votre vocation. Parfois non.
Mais nous avons toujours le choix d’être notre propre boule de billard et de choisir.
Parfois que le coût du choix est élevé. Mais nous avons toujours le choix !