La question fondamentale que se pose une personne après un burnout ou un cancer est très souvent : mais quel est le sens de tout ceci ? Quel est le sens de mon travail par rapport à ce que je viens de vivre ?
J’ai évoqué dans un post précédent les valeurs terminales de Rokeach : ces valeurs symbolisent ce qui a de l’importance au terme de sa vie. Elles sont intéressantes à travailler par la personne mais elles sont, par contre, clairement en dehors de la compréhension du mot valeur par l’entreprise.
Avoir une famille épanouie, avoir une vie harmonieuse, avoir une vie pleine d’amitié, avoir une vie éternelle, avoir une vie pleine d’amour ou spirituelle etc…Autant de valeurs que l’on ne verra jamais détaillées dans une plaquette d’entreprise. C’est pourtant un moteur fort dans la vie des collaborateurs.
Valeurs de vie et logothérapie
C’est lors de la recherche d’une réponse à la question « Finalement, qu’est ce qui est vraiment important pour moi ?», après un épisode de vie douloureux, qu’apparaissent cette question et ces valeurs.
Travailler sur ces valeurs, d’action ou de vie, est aidant pour la personne. Cela lui permet de mieux prendre conscience des priorités de sa vie. Identifier sa vie de famille comme une valeur prioritaire permet de prendre du recul par rapport à son travail. Pour autant, paradoxalement, travailler sur ces valeurs est un moyen de mettre des mots sur une réalité souvent vécue. Mais pas de clarifier le cap de sa vie. C’est nécessaire mais pas suffisant.
C’est ici que l’apport de la Logothérapie pour l’accompagnement des personnes arrêtées longtemps prend tout son sens.
La Logothérapie est la troisième école viennoise de thérapie, créée au début du 20ème siècle, en parallèle de la psychanalyse de Sigmund Freud et de la psychologie individuelle d’Alfred Adler. Son fondateur,
, postule que l’homme est avant tout un être à la recherche de sens. Plus particulièrement de recherche d’un sens à sa vie, non pas au sens de la vie en général, recherche qui est, elle, dans une démarche religieuse. La Logothérapie est non confessionnelle.Si la Logothérapie ne remet pas en cause la notion d’inconscient développée par Freud, elle postule également que l’homme n’est pas seulement un être en lutte contre ses pulsions, sexuelles notamment, mais qu’il est tiré par sa recherche de sens. En outre, s’il existe un inconscient pulsionnel, dont une partie sexuelle, V. Frankl revendique aussi un inconscient « spirituel » qui permet de créer les œuvres d’art, la musique, la poésie etc. L’inconscient n’est pas qu’une fosse obscure, c’est aussi une source de lumière.
L’homme est surtout tiré par la lumière et le sens et pas uniquement poussé par ses pulsions.
Logothérapie et tournant copernicien
Une notion est particulièrement intéressante dans la Logothérapie en regard des personnes ayant vécues un burnout ou un cancer. C’est le concept de tournant Copernicien. C’est la transformation de la question « Pourquoi cet évènement m’arrive à moi ? » en « Quel est le sens que je peux trouver à ce qui m’arrive ? ».
Ce changement de centrage est majeur dans la vie d’un malade. Car ce n’est plus l’homme qui pose une question à la vie mais bien la vie qui pose une question à la personne : que vas-tu faire de ce qui t’arrive ? La première question « Pourquoi », à laquelle aucune réponse satisfaisante ne peut être trouvée, peut alors se transformer en « Pour en faire Quoi ? ».
Un autre concept logothérapique est développé par Elisabeth Lukas dans son livre «
« Pour en faire quoi ? » avec justesse, c’est toucher du doigt qui l’on est vraiment et qui sont ceux qui vont donner du sens à sa vie.
C’est un dernier concept fort de la logothérapie. Le sens de sa vie ne se trouve que vers l’autre. Il ne peut se trouver de soi vers soi mais bien de soi vers un autre, que ce soit sa famille, ses enfants, une population particulière, un être spirituel.
Après un burnout ou un cancer, la recherche de sens
Un collaborateur de retour dans l’entreprise après un arrêt de plusieurs mois, des traitements lourds et douloureux pour certains comme des chimiothérapies cancer, des périodes d’hibernation – des personnes dorment des semaines entières suite à un burnout – est souvent encore dans le « Pourquoi ? ». Question à laquelle il ne va pas trouver de réponse et que ne vont pas comprendre ses collègues, son manager, son Rh. Car ceux qui ne n‘ont pas vécu ces traumatismes, paradoxalement, savent qu’il n’y a pas de réponses. Pour eux, la réponse est « Parce que !», point, et retour au business.
La meilleure des bonnes volontés du manager se heurte vite à un mur d’incompréhension qui éteint rapidement les relations entre le manager et le collaborateur, peu importe la gentillesse du premier.
Il est vrai qu’il n’est écrit dans aucune fiche de poste ni description de fonction comment accueillir une personne qui a failli mourir ou a souffert ! Ce n’est pas dans le cursus classique de formation du parfait petit manager. Car l’arrivée en force, par la grande porte, du cancer et de l’émotion par un simple « Pourquoi ? » dans le bureau des cadres est tout sauf la bienvenue.
La guerre du sens
La transformation du « Pourquoi ?» en « Pour Quoi ? » est une démarche personnelle de recherche de sens que nul ne peut faire à la place d’un autre. C’est là une autre contradiction entre l’entreprise et la personne. La plupart des dirigeants ont un grand questionnement : comment redonner du sens à mon entreprise pour que les collaborateurs se sentent à nouveau impliqués ? Comment leur donner le sens de ce qui est plein de sens ? Ce questionnement est une réalité aussi dans des industries ou des secteurs d’activités plein, à priori, de sens, comme l’industrie de la santé, l’aide aux personnes, l’écologie, la recherche appliquée etc…
Seulement la recherche de sens ne se prescrit pas, elle ne se diffuse pas comme un message de communication. C’est un déclic qui vient de l’intérieur. Comme beaucoup d’autres concepts importants, les valeurs, le bonheur, il est impossible de l’imposer mais seulement possible de créer les conditions de son émergence. Ce qui ramène à une obligation de moyens et pas de résultats.
Les entreprises ont perdu la guerre des valeurs, elles sont en train de perdre la bataille du sens. C’est là aussi une notion qui leur échappe, précisément car elles veulent le contrôler, prescrire les valeurs et le sens de l’entreprise.
Or c’est bien l’individu qui est en recherche de sens, mais d’un sens propre à son action, pas à l’action de son entreprise. Les personnes ayant eu un arrêt cancer ou burnout sont juste les pionniers d’un mouvement plus profond, plus sociétal, hors de mon champ d’écriture ici mais qui interroge.
Les dirigeants d’entreprises auraient sans doute intérêt à travailler leurs propres valeurs intimes et le sens de leur propre action, pour eux, pas pour leur entreprise. Cela créerait les conditions d’un possible changement, pour eux, peut-être pour leur environnement. Mais il est plus facile de payer une boite de communication à définir un sens bien ficelé et design que de travailler un peu sur le sens de son action comme être humain et dirigeant.
Certains le font, cherchent à percevoir leur rôle de dirigeant différemment, je le vois bien. Mais c’est encore rare. Faire ce travail aboutit inévitablement à l’abandon de la volonté de prescrire un sens à l’entreprise, combat inutile et vain. La vraie question est « quel est le sens que mes collaborateurs donnent à leur travail ? ».
Mais concrètement ? A quoi sert ce constat s’il ne permet pas d’améliorer le sort des personnes au sein de l’entreprise ?
Le retour au travail : mais quand ?
Aider une personne à trouver un sens à la réalité de certains événements de sa vie n’est pas chose aisée. Tout d’abord car elle est la seule à pouvoir trouver un début de réponse. Mais également car ce travail suppose que la personne soit dans un état d’esprit le permettant. Sans revenir sur la courbe de deuil déjà décrite, il est évident que vivre une opération, un traitement ou un burnout génère de la colère, de la tristesse, des émotions multiples. Le travail de recherche de sens ne peut se faire qu’une fois passé le plus gros de ces émotions extrêmes, ou d’absence complète d’émotions et d’énergie parfois.
Cela prend un certain temps, propre à chacun et que l’on ne peut pas réduire. Ah si seulement les cancers et les burnout pouvaient se gérer comme un simple mais longue grippe. Ce serait le bonheur pour les entreprises. Car ce n’est pas l’absence qui est le plus pénalisante pour un service mais l’absence de visibilité sur le date de retour, sur le retour lui-même s’il a lieu.
Quand un collaborateur est absent, les collègues font le boulot puis un CDD est embauché. Mais pour combien de temps ? 2 mois, 6 mois, 1 an ? C’est la galère à gérer, il faut reconduire le CDD d’échéance en échéance, en respectant les limites de la loi sur ce type de contrat. Ou bien prendre un intérim quand c’est possible.
Dans tous les cas, si l’absence se prolonge, c’est un poste dans les effectifs qui est bloqué et difficile à faire évoluer, un Head-count vous diront les boites internationales. Et au bout de mois d’effort, l’arrêt est reconduit de 2 semaines en 2 semaines sans qu’il soit possible de rien y faire ni de s’organiser vraiment. Au moins, avec une grippe, on sait à quoi s’attendre, on peut prévoir. Avec un cancer, un burnout, une maladie, c’est compliqué pour l’activité.
Retour au travail et qualité du lien
De l’autre côté, c’est ardu pour le personne malade aussi. Plus l’absence est longue, plus le retour est infructueux. Au-delà de 18 mois, le retour devient très compliqué. Le critère de retour est souvent la capacité physique à tenir son poste, mais ce n’est pas le seul. L’aspect psychologique joue un rôle important, en particulier dans les burnout.
Un des critères pour un retour réussi est la
qui a été maintenu entre l’entreprise et le malade durant son arrêt. Légalement, c’est très compliqué pour la RH de faire cette démarche. Mais cela peut être fait par un manager, un collègue, une assistante sociale. On constate que lorsque le lien est maintenu lors d’un cancer ou burnout, le retour se fait plus facilement et la personne revient dans une dynamique plus favorable.Le médecin du travail fait parfois ce travail mais c’est très lié aussi à l’organisation propre de l’entreprise : médecin du travail sur site, infirmière ou assistante sociale etc. La visite de pré-reprise est un bon moyen d’évaluer l’état d’esprit de la personne. Mais le contact avec le médecin du travail ne permet pas de remplacer un lien avec le collègue, avec un manager.
Le travail sur le maintien du lien entre l’entreprise et le collaborateur en arrêt est un vrai axe de développement car elle permet ensuite d’envisager un travail d’accompagnement sur les valeurs et la recherche de sens dans de bonnes conditions. Le collaborateur qui revient en ayant maintenu le lien va pouvoir consacrer son énergie à son travail, sera dans de bonnes conditions pour se distancier de sa peine.
A l’inverse, revenir dans une entreprise du jour au lendemain après ne plus y avoir mis les pieds ou en avoir entendu parler pendant des mois ou des semestres est traumatisant. Tout est différent, cela va très vite, le retour est violent et un mi-temps thérapeutique n’y change pas toujours grand-chose.
Paradoxalement, de peur de faire du tort au malade, l’entreprise ne maintient pas le contact avec son collaborateur. Ceci va aggraver la situation et compliquer le retour, faire du tort au collaborateur et l’entreprise. Surtout elle ne se donne pas la chance de maintenir un lien indirect avec le malade. Si le Rh ne peut pas le faire, car jugé trop « agressif » – ce qui laisse dubitatif et triste sur la perception des RH au passage (sic) quelle que soit les qualités humaines du RH en question– rien n’empêche de faire par un autre biais. Encore faut-il se poser la question ce qui est rarement le cas aujourd’hui. L’entreprise reste dans le modèle « Vous êtes en bonne santé, on peut vous parler. Vous êtes malade, vous êtes inexistant ».
Concrètement, pourquoi ne pas redéfinir les moyens de maintenir le contact entre une personne malade et son entreprise lors de son arrêt?